Protestantisme et sécularisme américains démystifiés, Prof. Deena White, Université de Montréal
Dernière mise à jour : 5 nov. 2022
Aussi longtemps qu’elles soient capables de mobiliser une communauté de croyants, les religions bénéficient des lois qui visent protéger toute église aux États-Unis et assurer la liberté d’expression religieuse.
Deena White, Professeure titulaire
Faculté des arts et des sciences, département de sociologie, Université de Montréal
Le protestantisme n’est pas un culte en tant que tel mais fait référence à tous les cultes, églises ou regroupements chrétiens désignés réformistes ou non-conformistes, qui, depuis le 15ième siècle, n’ont pour tronc commun que le rejet de la suprématie du pape et de l’Église romaine et l’attachement direct à la Bible, l’ancien aussi bien que le nouveau testament.
Aux États-Unis, les églises dites « mainstream » (dans le sens « classiques ») sont majoritairement protestantes mais comprennent l’Église catholique aussi. En fait, à cause de la nature très éclatée du protestantisme, l’Église catholique constitue aujourd’hui le culte le plus important aux États-Unis, même si minoritaire. Si l’Église catholique était depuis toujours tenue en suspicion dans la société américaine, très majoritairement WASP (white anglo-saxon protestante), et pas perçue comme pleinement américaine, ce ne fut plus le cas depuis l’élection de John F. Kennedy (JFK), en 1961 - premier et seul président catholique.
Le protestantisme comporte des églises et doctrines (c'est-à-dire, des ensembles de croyances) fort diversifiées, ayant des pratiques ou traditions distinctes, et des modes de gouvernance qui s’étalent sur un continuum de moins à plus démocratique. Par ailleurs, une même doctrine protestante peut être interprétée de plusieurs manières, dépendant du mode de gouvernance d’une église donnée. Des réveils, ou mouvements religieux, qui de temps en temps traversent population, fléchissent et renouvellent les cultes, créant ce qui ressemble à une cacophonie impénétrable (pour les non-initiés) d’églises dont les doctrines se chevauchent en partie. Il y a même des églises entièrement indépendantes, prônant les croyances ou pratiques idiosyncratiques de leur pasteur.
Aussi longtemps qu’elles soient capables de mobiliser une communauté de croyants, elles bénéficient des lois qui visent protéger toute église aux États-Unis et assurer la liberté d’expression religieuse. Voilà la base de la séparation de l’État et l’Église – soit, la séparation de l’Église avec majuscule, une seule Église officielle ou nationale) : n’importe quelles églises sont reconnues.
Et voilà aussi la distinction entre le sécularisme américain et la laïcité française : si l’État français renonce à la religion, la reléguant résolument à la vie privée, la constitution des États-Unis oblige l’État à ne privilégier aucune religion, offrant ainsi les mêmes protections constitutionnelles à toutes. La raison pour cette différence est historique : Après la révolution française, l’État français fit face à une Église catholique dont le pouvoir au sein de la population rivalisa celui de la nouvelle République. Ceci a obligé une division stricte des sphères de compétence de l’État et de l’Église et une frontière étanche entre les deux. Alors que les États-Unis étaient au contraire fondés sur la quête de la liberté religieuse et sur la présence, sur son sol, d’une multitude de cultes et aucun dominant. D’où la volonté et le besoin de protéger cette liberté religieuse dans la constitution américaine.
D’abord, trois modes de gouvernance
ÉPISCOPALIEN – C’est la forme de gouvernance des églises anglicanes, qui sont reconnues aux États-Unis plus souvent par ce nom. Sans accepter le pape, les églises épiscopaliennes sont dirigées par des évêques, incluant l’Archevêque de Canterbury en Angleterre et des évêques présidant aux États-Unis comme dans les autres anciennes colonies de l’Angleterre où l’anglicanisme s’est installé au sein des populations. Il y a donc des autorités pour interpréter et maintenir la doctrine, même si, dans l’absence d’un pape, il y parfois des tensions entre l’Archevêque de Canterbury en Angleterre et les autres évêques au sein des sociétés et cultures diverses.
PRESBYTÉRIEN – Né en Écosse, le presbytérianisme se distingue par son mode de gouvernance plus démocratique. Au lieu de l’autorité des évêques, des conseils d’aînés sont élus par la communauté religieuse aux paliers local, régional et national et ont un pouvoir de direction même par rapport à l’interprétation de la doctrine. Certaines des communautés puritaines, arrivées en Amérique du nord de l’Angleterre en 1630-1640, ont choisi ce mode de gouvernance démocratique comparé à la tradition anglicane / épiscopalienne (le pouvoir aux évêques).
CONGRÉGATIONALISTE – Un mode de gouvernance encore plus démocratique, où chaque église locale est autonome et où l’autorité du pasteur est contrainte par la communauté. Le congrégationalisme est aujourd’hui considéré une « tradition forte » aux États-Unis. Il date des années des pèlerins puritains, qui se divisaient entre presbytériens (communautés religieuses dirigées par des conseils d’aînés élus) et congrégationalistes (communautés souveraines qui se donnent chacune leur propre église).
Les cultes principaux dits « mainstream »

L’ÉGLISE ÉPISCOPALIENNE ou ANGLICANE - établie depuis le 16ième siècle en tant qu’Église officielle de l’Angleterre. L’anglicanisme est une doctrine protestante développée sous l’autorité du roi Henri VIII à la suite d’un conflit personnel avec le pape. Sa doctrine et sa hiérarchie ecclésiastique ne sont pas tellement éloignées de celles du catholicisme, l’église anglicane établie ayant à sa tête l’archevêque de Canterbury, auparavant nommé par le roi et aujourd’hui, par le parlement au nom du souverain. Les pratiques anglicanes sont distinguées par des niveaux d’orthodoxie différents. Aux États-Unis, l’église anglicane s’est rapidement divisée en cultes différents, mais l’ensemble de ses dénominations est reconnu sous la rubrique d’épiscopalienne, voulant dire, la présence d’évêques.
CALVINISME – Une doctrine protestante datant du 16ième siècle en Europe de langue allemande. Selon la doctrine calviniste, Dieu est souverain, c’est-à-dire, il existe un rapport « personnel » entre l’homme et Dieu non médié par des autorités ecclésiastiques. La marque du calvinisme est la doctrine de la prédestination : l’homme est impur dès la naissance. Certains sont élus par Dieu – aussi dès la naissance – mais on ne peut pas savoir qui ou pourquoi. Cela dit, nous pouvons parfois reconnaître ceux qui sont en état de grâce par leur comportement et leurs récompenses dans ce monde (voir Max Weber, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme). Les églises calvinistes peuvent être ou épiscopaliennes (avec évêques) ou presbytériennes (autorités élues). Les pèlerins puritains étaient en majorité calvinistes persécutés en Angleterre. Avec les anglicans (et les catholiques français) ils étaient parmi les premiers à peupler l’Amérique du nord au 17ième siècle.
LUTHÉRANISME – Une doctrine protestante aussi datant du 16ième siècle en Europe, mais qui, contrairement au calvinisme, prétend que le salut est atteignable pour tous, que l’homme possède un certain contrôle sur sa vie et que ses décisions et comportements comptent pour l’amener vers le salut, ou pas. Mais ce culte n’est introduit en Amérique du nord qu’un siècle plus tard que le calvinisme, par des immigrants scandinaves qui ont beaucoup contribué au peuplement de la frontière, actuellement, le centre-ouest du continent. Des églises luthériennes peuvent se prêter à la gouvernance presbytérienne ou épiscopalienne.
BAPTISME – Une doctrine protestante datant du 17ième siècle en Angleterre, où le baptême – soit, devenir chrétien - est un choix entrepris après l’âge adulte. Il n’y a aucune autorité centrale, l’autorité primaire étant la Bible qui doit diriger le rapport entre l’individu et Dieu. Ainsi, le baptisme se prête à une tendance vers le fondamentalisme, où le texte de la Bible est vu comme sacré et représentant, à la lettre, la volonté de Dieu. Comme être chrétien est un choix délibéré, l’évangélisme est souvent valorisé (soit, l’effort de convaincre des individus à se dédier au christianisme en acceptant la batême). Si les toutes premières églises baptistes ont été établies par certaines communautés puritaines, le baptisme n’a pris son essor aux États-Unis qu’un siècle plus tard, grâce aux réveils religieux.
Le baptisme s’est répandu le plus fortement dans le sud des É-U. Après la guerre civile (1861- 1865) les noirs (aussi concentrés dans le sud) ont développé leur propre Église baptiste noire, en effet un culte à part. Elle adopte une interprétation spécifique de la Bible, mettant l’accent sur l’Exode dans le vieux testament - l’histoire des juifs, esclaves en Égypte, menés par Dieu vers la liberté et « la terre promise ». Le baptisme, dans ses formes diverses, est aujourd’hui le culte protestant le plus important aux E-U.
Mouvements protestants qui traversent et les cultes « mainstream » et les remettent en cause
METHODISME – Un mouvement protestant qui n’émerge qu’au 18ième siècle en Angleterre et qui se sépare de l’Église anglicane au début du 19ième siècle. Le méthodisme cherchait à rendre la religion plus vivante et significative pour la personne ordinaire, utilisant des méthodes plus populistes, comprenant la chanson et des réunions évangéliques. En prenant la vie de Jésus comme modèle à suivre, le méthodisme prône un dévouement envers les pauvres et l’accent est alors mis sur la justice sociale, la paix et le service auprès des personnes et groupes en besoin. Aux États-Unis, le méthodisme s’est rapidement répandu à la frontière via des réveils du 19ième siècle et était le plus grand diffuseur du « Social Gospel », soit, la promotion la justice et des réformes sociales, telles que représentées par le mouvement politique progressiste de l’époque (1880-1920). Devenu aujourd’hui un culte « mainstream », il est considéré comme « libéral », soutenant plusieurs positions plus de gauche aux États-Unis.
ÉVANGÉLICALISME – Né aux États-Unis des réveils religieux méthodistes du 19ième siècle, il est le résultat d’un schisme qui émerge au début du 20ième siècle. L’évangélicalisme a repris les tendances évangéliques, fondamentalistes et populistes de ces réveils, en les fusionnant avec des aspects du doctrine baptiste tels que l’engagement individuel, relevant d'un choix personnel de repentir des péchés, d’accepter Jésus comme sauveur et de s’engager à suivre ses enseignements issus de la Bible. L’évangélicalisme est ainsi associé fortement à l’état d’être « born again » (né de nouveau). Il est marqué par des tendances charismatiques (représentées par des leaders des réveils religieux modernes comme Billy Graham) et, pour certains, pentecôtistes (axées sur l’expérience joyeuse de la nouvelle naissance et la croyance en les miracles et les dons de dieux). Le protestantisme évangélique est la tradition la plus importante aux États-Unis aujourd’hui, comprenant plus du quart de la population. Il trouve ses adhérents surtout dans l’église baptiste.
Axe unifiant du protestantisme américain: ─ La reconnaissance du pluralisme religieux, de la religion comme une croyance personnelle plutôt qu’une institution officielle et centralisée ou une doctrine donnée, et le libre arbitre, soit la capacité – et le droit - de l’individu à choisir son culte, voire, son chemin.
Axe polarisant : ─ L’interprétation fondamentaliste (par ex. baptiste, évangélique) versus libérale (par ex. luthérienne, méthodiste) de la Bible, et ainsi, du sens-même de la religion : soit une expérience de salut personnelle qui dépend de l’acceptation de l’autorité de Jésus, dont la volonté est révélée dans la lettre de la Bible; soit un code moral auquel il faudrait tenter de se conformer le plus possible dans la vie quotidienne, dans le fonctionnement des institutions sociales et dans le champ politique.
Et qu’en est-il des « puritains »?
Les puritains sont reconnus comme les premiers colonisateurs anglais de l’Amérique, arrivant en tant que pèlerins qui ont fui l’Angleterre à cause de leur persécution violente par le régime anglican. L’exode important de calvinistes anglais, ou parfois de baptistes, vers l’Amérique dans les années 1620 et 1630, constituant la période des pèlerins , était très limité dans le temps, car la migration devient de plus en plus difficile sous le règne du roi Charles dès les années 1640.
Le culte des puritains était en dominance calviniste, prônant donc la prédestination, un rapport personnel avec Dieu, une vie quotidienne pieuse et ascétique et aucune autorité religieuse au-delà de la communauté des pieux. Les communautés de puritains se sont organisées donc en églises presbytériennes (sous l’autorité de conseils d’aînés élus) ou congrégationnistes (encore plus radicalement locales et démocratiques). Leur doctrine de prédestination était cependant teintée par l’idée de « la conversion » à l’âge adulte, sinon de type baptiste (par l’acte du batême) alors à travers des passages marqués par des expériences religieuses. Cet aspect du puritanisme, qui reconnaissait des états de grâce plus et moins élevés, s’est apparemment imposé en fonction d’un besoin de faire émerger un système d’autorité légitime dans les premières colonies, où aucun statut séculaire (de noblesse) n’était reconnu et où la religion puritaine, en principe, mettaient tous au même niveau. L’état de grâce a accordé une forme d’autorité charismatique.
Pas tous les pèlerins étaient puritains, mais pendant deux décennies, entre 13,000 and 21,000 puritains se sont dirigés vers la colonie de Massachussetts. La dominance de ces « familles fondatrices » dans les colonies de souche anglaise a duré au moins un siècle.

Professeure Deena White est spécialiste de la sociologie politique et plus spécifiquement, des politiques sociales vues sous l’angle de l’action des groupes de la société civile sur leur développement et leur mise en œuvre et sous l’angle de leur rôle dans la régulation des populations cibles.
Ses expertises sont:
Politiques sociales et processus de réforme
Rapports État/société civile
Action publique
Action collective
État social
Sociologie politique
Santé mentale
Sociologie clinique
Société et sociologie états-uniennes
Croisement des savoirs
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