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Haïti, réflexions d’un déraciné, impressions de Jean Bonhomme Milfort, MBA Université Laval

Pourquoi suis-je en Amérique? Entre nostalgie et désespoir. Je n’avais envisagé de laisser Haïti, ma patrie bien-aimée, là où j’ai grandi, j’ai étudié, j’ai pris épouse et c’est là aussi que mes premiers contacts étaient avec les plaines, les rivières, les montagnes, les amis, le parfum varié des fleurs etc..


En entrevue avec Lefabson Sully, Jean Bonhomme Milfort nous revient sur son premier livre entre nostalgie, désespoir, impuissance d'agir et colère patriotique.


En cette période de grands déboires où les haïtiens en Haïti et à l’étranger sont bouleversés par la montée de l’insécurité, la ganstérisation, la pauvreté et les vagues d’abandons de la terre natale, il y a des compatriotes qui pensent constamment à Haïti et qui souhaitent voir un jour cette terre recouvre sa verdure, rentre dans une nouvelle ère de justice et de développement durable.


Dans un style simple mais profond et avec une approche trippante, Monsieur Jean Bonhomme Milfort ancien cadre de la fonction publique d’Haïti et professeur d’université, nous livre ses impressions. Je l’ai rencontré, en plus que c’est un frère, un collaborateur, quelqu’un qui a toujours une parole d’espoir et qui espère toujours dans un avenir meilleur.

Je lui ai questionné sur son premier ouvrage paru en 2017, je vous invite à apprécier ses humbles réponses qui selon moi sont très utilises dans le cadre d’une reconfiguration de la nouvelle Haïti que tous les haïtiens souhaitent voir un jour.


Lefabson Sully : Comme tout lecteur avisé en recevant mon livre j’ai analysé le titre, la quatrième de couverture et la table des matières. Je vous félicite pour cet essai sous forme de journal d’impressions personnelles. Ma première question est la suivante : Entre nostalgie et choque culturel, pourquoi selon vous, vous êtes un « déraciné » pas un « étranger ». Ensuite, selon moi (la Caraïbe, les Antilles), nous sommes tous en Amérique dans le sens géographique du terme, pourquoi faites-vous référence à l’Amérique pour décrire l’Amérique du Nord.


M. Jean Bonhomme Milfort: Merci pour votre invitation. Nous voulons saluer chaleureusement vos lecteurs, lectrices et c’est avec un grand plaisir que nous nous mettons à votre disposition pour répondre à vos questions. Votre première question m’envoie le message que mon premier livre Haïti, les réflexions d’un déraciné a été lu et a généré des interrogations légitimes de votre part. Pour répondre directement à la première partie de votre question pourquoi je me considère comme un déraciné et non comme un étranger en Amérique. À la vérité, le mot déraciné vient du fait que je n’avais envisagé de laisser Haïti, ma patrie bien-aimée. J’avais pris la décision de rester et de vivre en Haïti. J’avais pris tous les moyens pour y rester. Mais, la situation socio-politique qui a pris place dès 1986 où nos institutions sont abandonnées à elles-mêmes et les plaques tectoniques de la politique, de l’économie et du social ont bougé considérablement. Cette situation socio-politique ou si vous voulez, cette nouvelle donne a entrainé le départ forcé de leur poste de beaucoup de cadres de la fonction publique haïtienne. Il y a eu tout un mouvement de déchoukage[1] et c’est dans un tel contexte que j’ai perdu mon travail et forcé de laisser mon pays avec ma famille. Voilà, pourquoi, je parle de déraciné. Mon rêve était de remettre à Haïti, tout ce que j’avais bénéficié d’elle c’est-à-dire offrir mon aide aux jeunes de ma génération et à celles à venir la possibilité d’avoir accès à des niveaux élevés de formation. J’étais professeur à l’INAGHEI, à IGC. Mais, hélas! je me suis retrouvé en face de vous aujourd’hui en me posant la question : Pourquoi suis-je en Amérique? Et c’est ici le second volet de votre question. Vous dites que nous sommes tous en Amérique dans le sens géographique du terme. Tout dépend dans quelle perspective on se place. En général, on parle d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud et l’ensemble de ces divisions forme ce que j’appelle l’Amérique. Tandis qu’Haïti et les autres îles environnantes comme Cuba, la Guadeloupe, Ste-Lucie, Jamaïque, Trinidad etc font partie de l’archipel des Antilles et non de l’Amérique. Je ne suis pas sûr que le Jamaïcain se considère comme américain. Si je fais référence à l’Amérique c’est dans l’esprit que l’Amérique du Nord appartient à l’Amérique ou au continent américain.



Lefabson Sully : « Je vis dans le désespoir de ne plus revoir le bleu différencié de la mer, le champ des cultures ou la beauté que m’offrait le coucher majestueux du soleil à Jérémie » Là vous êtes entré dans une intimité exacerbée même avec la nature et l’espace naturel d’Haïti. N’êtes-vous pas en train de vivre l’effet du deuil migratoire, si nous rentrons dans la matérialité des choses?


M. Jean Bonhomme Milfort: Je crois que Haïti restera gravée dans mon cœur comme dans celui de tout autre compatriote qui a vécu là-bas au pays des mangues. C’est en Haïti, que j’ai grandi, j’ai étudié, j’ai pris épouse et c’est là aussi que mes premiers contacts étaient avec les plaines, les rivières, les montagnes, les amis, le parfum varié des fleurs etc.. Il y a quelque chose d’inexplicable en effet, une intimité exacerbée car nous, haïtiens, avons vécu avec l’idée, avec la conviction que cette terre nous appartient, c’est à nous d’en prendre soin, de la développer et de supporter nos compatriotes dans leur avancement. Notre lien avec la terre natale est indescriptible. Le mot désespoir ne signifie nullement faire son deuil sur Haïti. Ce désespoir renvoie tout simplement à une forme de nostalgie laquelle traduit l’idée qu’Haïti nous manque beaucoup et nous sommes traversés par un sentiment d’impuissance et parfois de colère parce que nous sommes dans l’état actuel des choses incapables de pouvoir faire quelque chose de grand et de durable pour ce pays. C’est ce qui explique la naissance de mes deux livres.


Lefabson Sully : Selon vous, la violence, l’injustice, le mensonge et le lien de confiance sont des éléments jugés nuisibles à l’avancement d’Haïti, j’en suis d’accord. Cependant à quelle rubrique placeriez-vous l’influence de l’international dans la problématique d’avancement d’Haïti (bien que mentionné un peu à la page 46), car selon la pensée dominante haïtienne, ce sont des grands joueurs (États-Unis, Canada, France) qui empêcheraient l’avancement d’Haïti.


Pape François
Pape François Pourquoi pas des excuses aux noirs d'Haïti

M. Jean Bonhomme Milfort: Merci d’avoir accepté que la violence, l’injustice, le mensonge et le lien de confiance sont des éléments jugés nuisibles à l’avancement d’Haïti. Ce sont des freins également à son développement. Le livre en parle largement. Cependant, d’un autre côté, vous avez soulevé avec raison l’influence de l’internationale dans la problématique d’avancement d’Haïti car selon la pensée dominante haïtienne, ce sont des grands joueurs (États-Unis, Canada, France) qui empêcheraient l’avancement d’Haïti. Là, vous venez de souligner un grand enjeu qui fait couler beaucoup d’encre. Personnellement, j’aime dire que depuis le début de la création, les hommes ne se font pas de cadeau. Ce qui signifie, à travers mon prisme d’analyse, si vous pensez que les étrangers sont là pour vous aider; Détrompez-vous! Les dernières nouvelles concernant le paiement de la dette forcée de Haïti vis-à-vis de la France, les occupations américaines en Haïti, les interventions de l’ONU en Haïti nous montrent effectivement que les acteurs étrangers empêchent Haïti d’avancer. L’ingérence de l’étranger dans les affaires haïtiennes handicape notre développement. Mais, cette situation, tout le monde le sait. Même quelqu’un comme Daniel Foote l’a dit. Et ceci n’est pas seulement le lot d’Haïti. D’autres pays ont connu le même sort. Ce que je déplore personnellement, c’est l’incapacité de nos élites dirigeantes incluant ma personne de développer d’autres stratégies, d’autres trajectoires de sortie de crise. Nous sommes à l’aise dans la zone de non-responsabilité. C’est toujours la faute de l’autre. Mais qu’avons-nous fait collectivement pour sortir Haïti de cette fâcheuse position? Question souvent posée mais la réponse se fait toujours attendre.


Lefabson Sully : Si nous devrions faire une contre-analyse de ces éléments, allez-vous trouver quatre (4) autres éléments qui sont jugés favorables ou profitables à l’avancement d’Haïti que les Haïtiens pratiquent actuellement?


M. Jean Bonhomme Milfort: Honnêtement, si je pouvais identifier ces quatre autres éléments qui sont jugés favorables ou profitables à l’avancement d’Haïti contrairement à ceux que j’ai mentionné dans mon premier livre comme des freins au développement à savoir la violence, l’injustice, le mensonge et le lien de confiance, je me ferais un plaisir d’en parler et de faire leur pédagogie. À la vérité, les éléments favorables au développement d’Haïti existent mais nous sommes incapables de les pratiquer pour toutes sortes de raisons. Si on pouvait le faire, Haïti serait dans une meilleure posture aujourd’hui. Ces éléments favorables sont plus que quatre mais comme demandé, j’en cite quatre : Une système éducatif collé à la réalité et aux besoins des Haïtiens – Un système de justice fonctionnel et indépendant – L’Organisation et un écosystème de santé répondant aux besoins de nos compatriotes. Les autres éléments favorables au développement de notre pays peuvent être lus dans mon second livre ayant pour titre : Haïti, la Bible et…. le développement.


Lefabson Sully : Dans la section sur la culture, je ne suis pas tout à fait d’accord avec tout ce que vous avez dit par exemple, l’artisanat, la langue créole, les traditions ne sont pas des sous-cultures mais des éléments inhérents de la culture haïtienne. En plus, le concept valeurs universelles perd de plus en plus sa place dans le processus de rapprochement culturel car à chaque fois que nous désirons donner notre propre définition à ces valeurs, elles ne sont plus applicables aux autres et elles renforcent la dichotomie Nous/Eux. Si je comprends bien, il y a un lien étroit selon vous, entre les valeurs dominantes de la culture haïtienne et la démocratie que nous voulons établir dans le pays. Normalement, beaucoup de penseurs haïtiens comme vous souhaitent ce dialogue national, cependant je crains que cela reste utopique. Ne devrions-nous pas promouvoir l’émergence de nouveau leaders politiques qui pourraient implémenter ce dialogue au lieu de faire miroiter le dialogue comme un idéal inatteignable.



M. Jean Bonhomme Milfort: Disons tout de suite que la CULTURE se définit comme étant l'ensemble des connaissances (croyances, traditions, expressions etc.) et des comportements qui caractérisent une société humaine, ou plus généralement un groupe humain à l'intérieur d'une société. Oui, toutes ces composantes, l’artisanat, la langue créole, les traditions citées dans votre question font partie de la culture. La question qui se pose ici, ce n’est pas de décortiquer notre culture en tant que telle mais celle de savoir si elle permet au pays de faire partie du concert des nations. Comment contribue-t-elle au développement du pays? Y-a-t-il compatibilité entre les valeurs de la démocratie et les valeurs prônées par notre culture? Peut-on parler de synchronisation? En tout cas, cet enjeu sur la culture pourrait prendre toute une émission de plus de deux heures car il charrie plusieurs autres sujets comme notre mentalité, le doute, notre construction du monde, la structure de la société haïtienne, la misogynie etc. C’est un sujet d’une grande complexité laquelle pourrait faire l’objet d’un plus grand questionnement. Je propose qu’une émission complète soit réservée à cette question. Par ailleurs, dans votre question vous soulevez l’enjeu du dialogue national. Je dois préciser que c’est un passage obligé à toute solution de sortie de crise pour Haïti. Qu’il soit implémenté ou promu par nos leaders, le dialogue est incontournable. Le hic pour nous réside dans notre incapacité à organiser ce dialogue et mettre de l’avant les sujets prioritaires qu’on devrait débattre et proposer des solutions. C’est cette barrière, la barrière de nos préjugés, que nous devons traverser pour établir ce dialogue. Nous devons apprendre à parler avec tout le monde quelle que soit son origine sociale, économique et politique, à écouter l’autre, à jouer vraiment le jeu démocratique. Nous ne sommes pas encore peut-être arrivés à ce niveau.


Lefabson Sully : Un mot de la fin pour mes lecteurs

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M. Jean Bonhomme Milfort: Tout d’abord, je vous remercie Pasteur Sully de m’avoir associé à cet exercice. J’espère avoir répondu de façon satisfaisante à vos interrogations et nous souhaitons une bonne lecture à vos lecteurs et lectrices. Je suis disponible pour poursuivre ce dialogue avec vous sur les grands enjeux qui touchent la mère patrie. N’importe quand. Ce n’est que le début d’une longue série je présume. Compliments pour ce travail éducatif commencé depuis belle lurette et je vous souhaite beaucoup de succès pour la suite. J’encourage fortement mes compatriotes à ne pas abandonner notre pays dans son état actuel et que nous devons tout faire pour offrir aux enfants, aux jeunes un avenir plus radieux. Soyez tous bénis!


Fin de l'entrevue


Je termine en vous annonçant tout de suite que le livre est disponible SUR AMAZON et Monsieur Bonhomme a déjà sorti son deuxième livre ayant pour titre Haïti, la Bible et…. le développement. et je vous promets une entrevue spéciale autour de celui-ci.


Laissez votre courriel afin de ne jamais manquer de mes nouvelles. Pour bénéficier d'une entrevue, veuillez me laisser un message.


Bio de l'auteur sur AMAZON

Ingénieur de formation, Jean Bonhomme Milfort est diplômé en 1989 de l'Université Laval (Québec) en administration des affaires (MBA). Il a enseigné dans différentes institutions scolaires tant en Haïti qu'au Québec. Il a agi également comme conférencier invité pour diverses organisations. Jean Bonhomme a œuvré au sein de l'Électricité d'Haïti comme ingénieur et ensuite comme gestionnaire durant une quinzaine d'années et au Gouvernement fédéral canadien à titre de gestionnaire pendant treize ans environ. Chercheur indépendant, Jean Bonhomme Milfort consacre ses activités sur les relations internationales, la politique et la promotion des valeurs.

[1] Expression haïtienne qui signifie déboulonnage de famille par la violence.

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