Haïti, Ils ont tué les droits humains
Dernière mise à jour : 10 oct. 2022
On pourrait se demander si ce genre de spectacle et de discours social ne rendent pas plus de service à la conscience nationale du peuple qu’une soirée de veille de nuit, qu’un discours politicien, qu’une messe dans la cathédrale de Port-au-Prince ou qu’une cérémonie religieuse des protestants ou un rituel mystique des spiritualistes.
Ce qui se passe en Haïti actuellement est une situation inédite. Comme dans tous les pays en développement, chez nous, chaque génération a connu son lot de bouleversements socio-politiques, de manifestations, de révoltes et même de guerre civile.
Cependant, pour être honnête, je pense que ma génération en a marre, nous avons fait les expériences les plus macabres, nous avons vu passé sous nos yeux Le Temps sans pouvoir l’attraper, nous regardons La Vie sans pouvoir la vivre, pour dire vrai, nous sommes des êtres vivants qui ne vivent pas.
Ils ont tué les droits humains. Voilà le cri de cœur de la jeunesse, des ainés, des enfants, bref de la population haïtienne.
Dans une vidéo qui devient virale sur les réseaux sociaux, nous pouvons remarquer ce jeune haïtien torse nu qui nous rappel nos ancêtres selon l’histoire et la silhouette de ce loa qui s’appelle Zaka dans la mythologie haïtienne, cet esprit paysan qui a la charge de protéger les champs et les travaux, et qui favorise la récolte et l’élevage. Le jeune a aussi des colliers, décors faits de matériaux locaux, ses foulards jaune et noir couleurs de Jean Dantor et de Baron Samedi, deux figures représentatives du vaudou haïtien.
Selon moi, nous ne pouvons pas banaliser cet acte. Que vous soyez catholiques, protestants ou vodouisants ce geste doit vous interpeller car il traduit beaucoup de choses dans la représentation sociale des Haïtiens.
Pourquoi est-il pertinent d’analyser et de comprendre la démarche de ce jeune? Comme je le dis souvent, le social s’explique par le social. Pour comprendre la profondeur de ces paroles et ces gestes il faut développer ce que Charles Mills appelle une imagination sociologique. C’est une méthode d’analyse qui décrit un cadre de compréhension de la réalité social dans un contexte socio-historique plus large.
Ils ont tué les droits humains. Que signifie tuer les droits humains dans le contexte actuel? Qui a donné la mort aux droits humains? De quels droits humains parle-t-il? Ici, nous sommes en présence des droits socioéconomiques et culturels ce que les spécialistes appellent la 2e génération de droits humains donc les plus fondamentaux.
Je vous rappelle que beaucoup de mouvements de revendication ont été menés dans le monde vers le début du 19e siècle afin que chaque individu ait un accès équitable à ce genre de service. Le droit à la nourriture ( de bonne qualité), au logement décent, à l’éducation et au travail, le droit de vivre votre vie, et ceci, en toute sécurité.
Voilà, en se référant à cette liste vous aller comprendre que nous devrions déjà entamer le deuil des droits humains. car encore en 2022, des gens doivent se battre pour accéder à ces services sociaux qui n'existent pas en Haïti.
Par la suite, le jeune décrit une réalité des classes sociales où pendant que certains sont en train de gémir, d’autres se réjouissent au détriment des classes défavorisées.
Ce qui rend plus fragile la lutte pour la libération du peuple haïtien est ce contexte de domination. Une minorité socioéconomique qui détient les moyens de production, veut à tout prix exploiter et garder la majorité dans l’oppression. Versus une population qui est en perte de repère social, qui n’a pas confiance dans ses dirigeants, bref, qui vit comme étranger dans sa propre patrie.
Il dénonce l'aveuglement, la passivité voire l'insouciance des dirigeants face aux gémissements du peuple qui chaque jour compte des cadavres.
Un autre fait marquant de la mise en scène de ce jeune homme est l’attention accordé par les spectateurs et les internautes qui n’arrêtent pas de regarder en boucle la vidéo.
On pourrait se demander si ce genre de spectacle et de discours social ne rendent pas plus de service à la conscience nationale du peuple qu’une soirée de veille de nuit, qu’un discours politicien, qu’une messe dans la cathédrale de Port-au-Prince ou qu’une cérémonie religieuse des protestants ou un rituel mystique des spiritualistes. Pourquoi?
Un historien français du XXe siècle qui s’appelle Michele Mollat du Jourdain disait : « La vigueur d’un corps social se mesure au degré de sa prise de conscience collective. »[i]
Autant que les groupes religieux, les organismes de la société civile, les leaders d’opinion et les politiciens ne soient pas capables de faire parvenir la nation haïtienne à ce niveau de conscience collective, à cette identité nationale, nous aurons besoin de ce genre de lanceur d’alerte, à la manière de Manuel du Gouverneur de la Rosée, qui a fait parvenir l’eau dans le village grâce à son patriotisme et son sens rassembleur, à la manière de Bob Marley pour dire aux imposteurs et aux mercenaires que « tu peux tromper certaines personnes parfois, mais tu ne peux pas tromper tout le monde tout le temps », à la manière de BIC Tizon Dife, pour dénoncer des religieux qui tiennent captive la conscience d’une partie de la société « en imposant la peur de leur propre personne que la crainte de Dieu ».
En fin, moi Lefabson Sully, je ne suis pas un prophète de malheur, cependant j’annonce cette grande révolte qui pourra surgir au moment opportun si le faible reste n’arrive pas à trouver un consensus et un dénouement sociopolitique.
À la manière de Louise Michèle, je vous le rappelle, plus on aura pesé le peuple haïtien plus la révolte sera terrible.
J’estime avoir dit, à bon entendeur salut. Ne partez pas sans avoir laissé un commentaire et de lecteurs comme vous peuvent maintenant accéder ici à plus de contenu en supportant mon travail.
Vive Haïti!
Lefabson Sully
[i] Mollat du Jourdin, M. (1977). 8 - L’éveil de la conscience nationale. Dans : , M. Mollat du Jourdin, Genèse médiévale de la France moderne: XIVe-XVe siècle (pp. 113-131). Paris: Le Seuil.